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Du terrain jusqu’à l’écran…

Dans les coulisses de la bande son du film « 5ème Set » de Quentin Reynaud.

L’équipe son du film s’est prêtée à un exercice de style rare, un écrit collaboratif sur les différentes étapes de création de la bande sonore du film. Les membres de l’équipe nous racontent en détail leur travail sur ce film. Une équipe très investie qui nous emporte dans un récit PASSIONNANT !

SOMMAIRE

Synopsis

À presque 38 ans, Thomas est un tennisman qui n’a jamais brillé́. Pourtant, il y a 17 ans, il était l’un des plus grands espoirs du tennis. Mais une défaite en demi-finale l’a traumatisé et depuis, il est resté dans les profondeurs du classement. Aujourd’hui, il se prépare à ce qui devrait être son dernier tournoi. Mais il refuse d’abdiquer. Subitement enivré par un désir de sauver son honneur, il se lance dans un combat homérique improbable au résultat incertain…

 

Équipe son du film 5ème set

Chef opérateur du son : Stéphane Gessat

Monteur sons directs : Philippe Fontaine

Monteur son : Axel Steichen

Mixeur : Fabien Devillers

Compositrice : Delphine Malausséna

 

1 – La prise de son – Chef opérateur du son Stéphane GESSAT

Assistant son : Maxime GIRARD, 2nde Assistante son stagiaire : Adèle LE GOFF

 

Avant tout, quelle est pour toi la place de l’ingénieur du son sur un tournage ?

Selon moi une prise de son réussie consiste à capter la charge émotionnelle d’un film présente sur un tournage en adéquation avec les désirs du réalisateur/trice et les enjeux du film. Nous autres techniciens et techniciennes sommes un peu des traducteurs. A la lecture d’un scénario puis selon les envies de mise en scène nous mettons en place des dispositifs différents afin d’aller chercher les sons justes au plus près de l’histoire, des personnages et de l’émotion.

Le son sur un tournage c’est avant tout des voix, celles des acteurs et des actrices qui est la matière précieuse du son direct. La performance qu’ils réalisent pour donner vie aux personnages et permettre aux spectateurs de s’immerger dans leur psychologie est infiniment subtile. Chaque jour de tournage est différent, chaque prise, chaque mot jusqu’aux respirations et aux silences. L’énergie du tournage, l’état émotionnel des comédiens, les indications que les réalisateurs leur soufflent quelques secondes avant une prise créent à chaque instant des moments uniques de jeu que nous sommes en charge de capter le plus fidèlement possible. Il y a la qualité technique bien sûr qui doit être optimale et permettre la meilleur compréhension du texte possible, mais aussi le respect de la charge émotionnelle et la justesse du jeu. Quelques fois la prise la plus juste est celle où le ton est différent, la voix éraillée, où une voiture passe à ce moment-là mais si l’émotion est là alors c’est très certainement la bonne prise et il faut savoir la repérer. Réussir à positionner ce curseur est un enjeu permanent qui nécessite d’infimes concessions.

Au-delà de l’enregistrement des voix, il y a aussi l’ensemble des sons liés aux décors et aux actions que l’ingénieur du son doit capter. Ce sont des ambiances riches et des sons précis aux tonalités et couleurs différentes qui viennent complexifier la bande son et apporter d’autres niveaux de perception au spectateur. Il s’agit d’identifier et capturer les éléments nécessaires à la restitution d’un décor (un environnement urbain, naturel, chargé, réverbérant, glacial, humide…). Mais aussi des sons particuliers qui viendront préciser un détail, souligner un trait de caractère ou apporter plus de subtilité à la bande son.

Par exemple le léger cliquetis d’un stylo agité par un personnage stressé, ou bien le son particulier des feuilles de cet arbre en arrière-plan bercées par le vent et qui raccorde avec la scène et viennent ancrer les personnages dans le décor. Chacun de ces sons peut évoquer un sentiment, une émotion différente et venir enrichir la palette du film.

Une grande partie de cette matière provient du tournage et des ambiances authentiques que nous décidons d’enregistrer afin qu’elles collent avec l’énergie du film scènes après scènes.

Quels ont été les enjeux particuliers du film 5ème Set ?

Sur 5ème Set le décor particulier des cours de Tennis était un gros Challenge. Roland Garros était un personnage à part entière et il a fallu lui donner vie.

Le Tennis est un sport suivi par des milliers de personnes via le petit écran. Nous en avons tous une perception très codée par les retransmissions TV et l’un des enjeux principaux au tournage était pour moi de coller le plus fidèlement à cette sensation. Les cris des joueurs dans l’acoustique du stade, les frappes de balles et réactions des arbitres jusqu’à l’omniprésence des spectateurs au diapason avec l’énergie sur le terrain. Tout ceci répond à des codes qu’il fallait intégrer dans la grammaire de ce film.

Vient ensuite la dimension cinématographique qui nous immerge dans l’esprit combatif de Thomas Edison. Elle permet de sortir du réalisme du terrain et d’aller au plus près du personnage, de ses émotions et de ses doutes. Cela laisse une grande place à la création via des points d’écoute subjectifs. Le point de vue tout comme en littérature, qu’il soit omniscient, subjectif ou extérieur impose une esthétique sonore totalement différente afin de faire naviguer les spectateurs d’une sphère à une autre.

Pour que les séquences de Tennis soient réalistes il a fallu mettre en place un dispositif technique assez imposant par rapport à un tournage plus classique. Je me suis inspiré des véritables prises de son utilisés pour les captations TV depuis plusieurs années à Roland Garros. À savoir un panel d’une dizaine de micros répartis sur tout le terrain pour couvrir zone par zone les frappes, les cris et les pas sur la terre battue. À cela s’ajoute plusieurs prises de son en multicanal pour créer en postproduction un 5.1 immersif. Et puis la perche qui donne sa focale sonore au plan et permet d’être au plus près du jeu, des frappes et des émotions.

Dans la bande son il y a le « IN » de tout ce qui apparaît à l’image mais il y a aussi le « OFF » que nous ne voyons pas mais que le son fait exister. Les allées bondées de Roland Garros, les Matchs sur les cours adjacents… Il fallait que l’on ait réellement l’impression qu’il y a 2000 spectateurs sur ce mythique « court 14 » alors qu’il n’y avait en réalité que 50, 200 ou 600 figurants selon les plans et les journées de tournage. Recréer l’impression de réalité d’un lieu comme celui-ci avec l’énergie nécessaire pour embarquer les spectateurs dans la dramaturgie du film était un challenge passionnant tout au long du tournage.

Les semaines passées à Roland Garros et surtout sur les courts ont été extrêmement techniques. Quentin Reynaud le réalisateur a un excellent niveau de Tennis. C’est un grand passionné qui connaît toutes les subtilités de jeu d’un joueur du niveau de Thomas Edison. Il a été très exigent avec le réalisme du match, la puissance des frappes et la progression du jeu. La difficulté principale a été le découpage complexe des séquences dont chaque point et chaque coup étaient scénarisés. Les matchs ont été tourné par axes sur plusieurs jours. Dans ce cas il faut faire bouger toute la figuration à chaque changement d’axe de caméra. Il y avait aussi les plans larges avec la doublure et ceux en plan serré sur Alex Lutz. Les plans avec VFX pour incruster le visage d’Alex sur les déplacements techniques de la doublure et les points de vue de Thomas Edison. En résumé un travail de découpage de la mise en scène, du chef opérateur et de la figuration qui a été un casse-tête gigantesque afin de conserver la cohérence des phases de jeu mais qui donne tout son réalisme à ces séquences en immersion totale sur le terrain.

À noter également le travail extrêmement précis et immersif de Vincent Mathias le chef opérateur du film qui a filmé au plus près les échanges en plongeant littéralement physiquement dans l’axe des balles. Cela apporte une puissance de jeu impressionnante et il a fallu aller chercher des sons précis et percutants afin de soutenir cette dynamique.

Les membres de l’équipe travaillant dans l’axe des échanges étaient d’ailleurs équipés de protections et casques de Hockey pour éviter les coups.

Quelle a été la place du public dans la prise de son ?

Le son au cinéma apporte la sensation de continuité. Alors que chacun de ces plans ont été tourné à des instants voire des jours différents, c’est la matière sonore qui nous donne la continuité avec les ambiances et notamment par l’omniprésence des spectateurs. Lorsque vous regardez un match de tennis, le public est au diapason avec les joueurs. Ce qui marque sur un court c’est cette dynamique entre les silences chargés et l’éruption du public qui exulte. Il y a aussi les encouragements, et les applaudissements qui sont différents à chaque instant du match et empreints d’un profond respect pour la concentration des joueurs. Cette masse de spectateurs prend vie et procure une énergie immense, presque palpable qui soutient la tension des matchs et qu’il a fallu recréer.

Comment donner l’impression du nombre de spectateurs? Y avait-il réellement 2000 figurants sur le court 14 ?

Il s’agit d’une question cruciale du film et à poser également à Axel Steichen et Fabien Devillers, respectivement monteur son et mixeur du film.

Nous avons fait le choix de faire « vivre » réellement la figuration autant que possible, et de multiplier les points de captation. Les figurants ont été briefés en amont pour réagir le plus fidèlement possible comme de véritables spectateurs aguerris et passionnés. C’est ensuite la multiplication des prises sur des valeurs serrées et plus larges qui additionnées créent cette sensation de masse. Il y avait toujours une captation en 5.0 dédiée aux spectateurs au centre du terrain.

Nous avons également placé des micros en immersion dans les gradins qui donnaient des points plus précis d’applaudissements et de réactions. Nous avons même laissé tourner plusieurs heures des enregistreurs au milieu des spectateurs afin de capter des moments plus réalistes de discussions et d’échanges. Un même match sur plusieurs axes avec plusieurs prises par axe permet ainsi de créer un volume suffisant de matière pour le montage son.

Nous avons également réalisé durant les journées avec 600 figurants de longues ambiances en multicanal avec des énergies très différentes qui ont permis de servir de banque de son précieuse pour le film.J’ai laissé à Maxime mon perchman le soin de guider par gestes l’ensemble de la figuration pour ces enregistrements afin d’avoir une continuité entre les silences, les applaudissements légers, nourris, les moments d’exultation ou les silences sous tension. Maxime a aussi une casquette de chef d’orchestre dans la vie ce qui a été un atout indéniable pour diriger avec précision une masse de 600 spectateurs déchainés sous le soleil de plomb de Roland Garros.

Comment le son a-t-il contribué à crédibiliser le niveau de jeu professionnel de Thomas Edison ?

Alex Lutz a réalisé une performance impressionnante sur ce film. L’énergie qu’il a déployée pour donner vie à ce personnage se ressent intensément à l’image et au son. Il a également apporté une profondeur et une noirceur au personnage subtilement souligné par les musiques de Delphine Malaussena.

En ce qui concerne les matchs, il est impossible pour un comédien d’atteindre un tel niveau sportif en seulement quelques mois. Le physique et les réflexes d’un joueur professionnel sont façonnés par des années de pratique. Le challenge pour Quentin Reynaud était avant tout de faire qu’Alex Lutz soit parfaitement crédible entre chaque phase de jeu pour donner vie à Thomas Edison. Il a fallu près de quatre mois d’entrainement à Alex pour donner l’illusion d’une vie passée sur les courts de Tennis.

Concernant le son à proprement parler, un joueur de haut niveau produit une série de sons typiques et très précis, qui retranscrivent à l’écran toute la puissance des frappes et des échanges. Frédéric Petitjean joueur professionnel et classé était la doublure officielle d’Alex Lutz sur le terrain. Il a performé l’intégralité des jeux sur les courts de tennis, l’ensemble des sons de frappes et déplacements de jeux sont donc les siens. Mais toutes les performances émotionnelles sont attribuées à Alex. Il s’est donc assez vite posé la question de comment « matcher » ces deux performances qui donnent vie au sportif dehaut niveau incarné par Alex Lutz.

En effet la signature sonore d’un joueur de tennis tient surtout dans ce cri très puissant qu’il émet à chaque frappe et qui témoigne de l’énergie des échanges. Tous les plus grands joueurs ont ce cri distinctif très reconnaissable. Même pour un comédien très largement entrainé il serait impossible de lui faire produire avec autant de crédibilité des cris pareil sur l’ensemble des matchs et avec toutes les nuances qu’ils comportent.

Il y a donc eu un très gros travail de montage son pour mélanger et harmoniser ceux produits par Frédéric Petitjean dans les phases de jeu et ceux où Alex est à l’écran habité par la rage de vaincre.

Rentrons un peu plus précisément dans la technique pour les adeptes. Quel était ton dispositif technique à Roland Garros?

L’installation technique est inspirée des captations réellement utilisées à Roland Garros depuis des années. J’ai souhaité m’en rapprocher le plus possible afin de coller à la perception sonore de ces retransmissions TV.

Pour couvrir une surface de la taille d’un cours il fallait au minimum 8 micros, ce qui est très gourmand en pistes si l’on veut les garder sur des pistes séparées et laisser de la latitude en post production.

La vitesse des frappes nécessite un tel dispositif si l’on veut garantir la précision sonore de chacun de ces échanges. Le terrain est donc quadrillé par zones avec 3 micros de chaque côté et un couple au centre pour couvrir les zones de services.

Ces micros étaient tous des semi-canons Schoeps Cmit tout comme ceux utilisés à Roland Garros. Cette directivité permet de gagner en précision sur les frappes et déplacements et de réduire également l’environnement urbain de ces cours en plein Paris entourés de 2 grands axes routiers.

A cette prise de son sur le terrain, s’ajoute une prise de son plus large afin de capter les réactions des spectateurs, l’environnement urbain et donner un peu « d’air » aux micros sur le terrain.

Plus concrètement il s’agissait d’un couple LCR avant et un couple AB pour l’arrière ainsi que deux appoints dans le public pour des réactions de proximité. Ce dispositif était installé au plan selon chaque axe pour coller parfaitement à l’image et aux différentes phases de jeu.

Face au nombre de pistes dont nous avions besoin pour cette captation dite «Tennis» nous avons décidé de dédier un enregistreur à celle-ci et opté pour le Scorpio de chez Sound Devices qui venait de sortir quelques mois avant le tournage. Il offrait un nombre important de préamplis de qualité pour un encombrement minimum.

L’enregistreur principal était un Cantar X3 sur lequel entraient les perches, les micros HFs (surtout utilisés en appoint dans le public), une piste dédiée au micro de l’Arbitre ainsi qu’un prémix stéréo du second enregistreur. Ce « prémix » était réalisé de façon statique en stéréo en fonction des axes de caméra pour donner la sensation d’une spatialisation sur chaque plan. Il s’agissait bien sûr d’une proposition de mixage mais qui a pu accompagner toute l’étape du montage et permettre à Jean Baptiste Beaudoin le monteur et Quentin Reynaud de s’immerger sur le terrain dès cette première phase de travail.

Nous avons réussi à compacter les deux enregistreurs ainsi que deux surfaces de contrôle sur la roulante de tournage et rester ainsi très mobiles sur le terrain. Nous avons connecté l’ensemble des micros du terrain à un boitier de scène relié à la roulante par un multipaires 16 canaux. Je pense d’ailleurs qu’Adèle le Goff notre seconde assistante a battu un record de roulage de câbles sur ce tournage et nous lui en sommes très reconnaissants !

Quelle a été la place des perches dans ce dispositif ?

Nous avons travaillé à deux perches sur l’ensemble du film et sans micros HF excepté quelques plans larges.Avec autant de phases de jeu sur le terrain j’ai souhaité ne pas équiper les comédiens pour leur laisser le plus de liberté possible. Ne tournant qu’à une seule caméra nous avons donc travaillé les perches au plan. Je retrouve beaucoup plus de naturel dans le son et de challenges à travailler comme cela lorsque le film le permet. Nous avions malgré tout plusieurs micros HFs (Wisycom) avec capsules DPA 4060 ou 6060 utilisés essentiellement pour des appoints à cacher sur le décor ou pour renforcer des fonds de plan.

Sur le terrain Maxime était avec la perche 1 pour le « In » et Adèle la perche2 sur l’adversaire en « Off ». Ils ont dû être d’une grande agilité pour suivre avec précision les joueurs dans des phases de jeux extrêmement dynamiques tout en évitant les balles. Ces échanges pouvant durer assez longtemps, nous avons opté pour une perche la plus légère possible afin de faciliter leurs déplacements sur le terrain.

Pour les perches nous avons utilisé des VDB (L ou XL) parfaites pour leur maniabilité et leur légèreté. Les micros étaient des Mini Cmit légers, directifs, avec leur coupe bas intégré et parfait pour raccorder avec les micros du terrain. Une liaison HF numérique avec des AudioLtd A10 pour une grande liberté de mouvement et une qualité de son impressionnante notamment dans la gestion de la dynamique et des transitoires. Enfin pour les suspensions il s’agissait de la Cosy de chez Cinela pour sa légèreté et son incroyable maniabilité́ même dans des déplacements extrêmement énergiques.
Pour ce qui est des séquences intérieur du film j’ai utilisé le MKH50 que j’apprécie particulièrement pour sa rondeur et sa restitution des bas médiums.

 

Merci Stéphane, avant de conclure peux- tu revenir brièvement sur ton parcours ?

Après mes études ( BTS audiovisuel suivi d’une licence cinéma) j’ai très vite mis un pied sur les plateaux grâce à des stages et j’ai tout de suite eu un coup de cœur pour ce métier et les relations humaines riches et intenses des équipes de tournage. J’ai eu un premier parcours en tant que stagiaire, second puis perchman. J’ai appris énormément durant ces dix ans à la perche ainsi que de mes différents mentors. J’ai adoré ce rapport au corps où l’on vibre avec les comédiens au rythme de l’action. Il y a aussi les enjeux et la pression de la « face » tout comme l’échange passionnant avec les différents membres de l’équipe.Mais j’ai également démarré dès ma sortie d’école un deuxième parcours parallèle en tant qu’ingénieur du son, d’abord sur des petits projets, un très grand nombre de courts métrages, et puis peu à peu des longs métrages. Ce poste a pris le dessus assez naturellement au fil du temps, des expériences et de mes désirs sur le travail de la perche. J’aime ce rapport à la dramaturgie, au sens profond des sons que nous captons et le lien qui se tisse entre la mise en scène et la production pour essayer de prendre à chaque instant les justes décisions pour le film. C’est ce travail en équipe avec les artisans de la création et la transmission des émotions qui me passionne. Être à l’écoute, au sens large, comprendre les enjeux et les rapports humains et faire naitre de ces visions parallèles un espace sonore sensible et cohérent qui transportera les spectateurs au cœur de l’histoire.

 

 

2 – Montage des directs – Monteur son Philippe Fontaine

Le montage des dialogues ou « montage des directs » est probablement l’une des parties de la post-production son qui est la moins connue… Cette étape permet, à la suite du montage image, de sublimer les sons enregistrés lors du tournage par l’ingénieur du son et son perchman/ sa perchwoman. Le monteur dialogue s’occupe de monter les sons du tournage, de les organiser, trier et compléter vis-à-vis du montage son et du mixage, sans oublier également le montage des des post-synchronisations faites par les comédiens.

Mon rôle sur ce film a été très complet ; d’une part il a été de fournir un maximum de sons pour le montage son (foules, matchs de tennis…), mais également de créer la version internationale (V.I) à partir de tous les sons du tournage afin de retrouver un maximum du son direct dans les différentes versions du film (pour le doublage dans d’autres langues).

Concernant 5eSet, le montage des sons directs a été organisé en trois parties ; les séquences “classiques” de dialogue, les matchs de tennis plus ou moins stylisés des qualifications et pour finir le match du premier tour. Chacune de ces parties a été traitée de manière différente, tout en essayant de créer une version internationale (la V.I) la plus complète possible. Nous ne nous étendrons pas sur les séquences de dialogues (généralement : une/deux perches, quelques micros lavallier (les HFs) placés sur les comédiens quand c’était nécessaire et un LCR d’ambiance quand c’était possible/faisable). La prise de son ayant été réalisée très scrupuleusement avec une bonne stratégie microphonique, il a été possible pour moi de réaliser une VI complète. C’est à dire que tous les sons des matchs de tennis (déplacements, frappes, respirations, réaction du public,…) sont d’une part, ceux qui ont été émis par les comédiens/joueurs pendant le tournage, et d’autre part seront également présents dans les version étrangères du film. Ce n’est pas forcément le son synchrone qui a été utilisé tout le temps ; il faut parfois faire preuve d’ingéniosité et tricher en utilisant les sons d’autres prises afin de donner cette illusion de vérité. C’est cette dernière qui donne le côté réaliste aux matchs et qui nous a permis de restituer une bande son juste en termes de montage direct… Cependant, comme toute règle, il nous a été possible de la contourner afin de souligner l’une ou l’autre frappe, glissade ou cri, en doublant le son ou en le remplaçant par un autre plus marqué ou dont la performance nous plaisait mieux. Le premier montage son a été effectué par le réalisateur et le monteur lors du montage image du film. Après l’avoir transformé d’une part (passer des mixdowns aux fichiers isolés de l’enregistreur du preneur de son) et complété d’autre part, mon travail a été envoyé au mixeur afin qu’il puisse faire une première passe et ensuite donner une bonne matière de base au monteur son (choix de chaîne de post production un peu spéciale, dû à la COVID et au planning en partie, mais qui s’est avéré être une assez bonne idée…)

 

Y a-t-il eu un travail particulier du montage des directs pour les séquences des matchs de tennis ? Quel a été l’apport de la prise de son pensée en amont par Stéphane, et de la configuration particulière des micros sur le court ?

La mise en place effectuée par Stéphane était idéale pour les différentes séquences de tennis ; elle nous a permis d’utiliser les micros que nous voulions par rapport aux besoin de la séquence. Les matchs de tennis étant répartis selon trois points de vue différents il fallait que nous puissions nous en sortir en son direct. En effet, sans un son direct bien pensé, nous aurions perdu en énergie et en réalisme… Deux éléments qui étaient indispensables au réalisateur quant à sa conception sonore du film.

Nous avions à notre disposition :

  • Une perche avec un micro directif (selon la position de caméra à l’épaule, donnant un point de vue plus documentaire)
  • Un système de captation classique de prise de son de match de tennis, à savoir trois micros derrière chaque joueur (que l’on peut d’ailleurs apercevoir à l’écran “comme à la télé”) ainsi que deux micros d’appoint sur le filet
  • Un micro à cinq canaux (5.0) et un couple stéréophonique placés dans les gradins afin de récupérer principalement les réactions du public.

 

Les trois points de vue lors des matchs dépendent essentiellement du placement de la caméra :

  • Point de vue Thomas Edison “extérieur” (personnage principal du film) : une perche bien placée sur le comédien et ses déplacements nous aura permis de récupérer un maximum de détails (frappe des balles, cris, déplacements) durant son premier match. Ceci nous permet de suivre l’action de l’intérieur avec une caméra tantôt de dos, tantôt face au comédien. Encore une fois ce n’est pas forcément le son synchrone qui aura été utilisé, mais bien le son direct (exemple : la dernière frappe de Thomas lors de son premier match de qualification a été “gonflée” par un cri plus marqué d’un son seul effectué sur le plateau et d’une frappe plus forte afin de souligner toute la rage et l’énergie avec laquelle il se bat dans ce match et permet de terminer celui-ci sur un climax… Un peu comme dans un jeu vidéo où le joueur sort son coup ultime afin de marquer le point de la victoire. En plus de la perche, la prise de son “classique” de match de tennis nous aura permis d’aller récupérer de petites choses qui nous permettent de choisir avec une assez grande liberté ce que nous désirons mettre en avant (le rebond, le dérapage, la balle qui frappe contre la bâche du fond, etc…)
  • Point de vue Thomas Edison “intérieur” (pour le match plus stylisés) Pour cette séquence qui ressemble à s’y méprendre à un match de boxe entre les deux joueurs, il s’agit uniquement de la perche et du montage de quatre éléments : les cris, les mouvements du personnage, les frappes et les déplacements d’air produits par la raquette lors de ces dernières. Il s’agit d’une séquence plus “travaillée” (toujours à base de sons directs) que les autres mais qui participe à la narration et souligne la manière de filmer ainsi que le montage de cette séquence.
  • Point de vue télévisuel (pour une partie du match contre Damien Tosso lorsque le spectateur se retrouve dans une mise en abîme comme devant sa télévision lors d’un match à Roland Garros) Ici le travail était encore différent car nous étions face à un point de vue télévisuel. J’aimerais souligner l’utilisation des micros sur le terrain auxquels ont été ajouté le microphone à cinq canaux permettant une immersion totale dans le match et surtout qui permet de capter précisément les réactions du public. Toutes les réactions ont évidemment été travaillées par le monteur son (surtout en ce qui concerne le travail sur la tension et l’excitation qui monte jusqu’à son paroxysme…) Mais c’est cependant le son direct qui aura servi de base à toute la création sonore de ce match.
    En conclusion, sans cette réflexion et mise en place concernant le matériel et sans les sons seuls effectués lors du tournage, il nous aurait été impossible de restituer de telles émotions et une telle justesse lors des différents matchs de tennis selon les différents points de vue… Tous ces micros auront permis de capter des sons qui m’auront permis de constituer une véritable sonothèque dans laquelle je pouvais aller piocher le son unique qui permettait tantôt de souligner le réalisme des frappes/cris du joueur, mais également de souligner tel ou tel moment afin de répondre aux demandes sonores du réalisateur.

 

 

3 – Montage son – Monteur son Axel Steichen

Quel est le rôle du monteur son sur un film ?

Le/la monteur/euse son intervient en règle générale juste après l’étape du montage image du film, son rôle est de collecter tous les éléments sonores nécessaires au film et de les assembler à l’image pour créer la bande son du film. Il/elle travaille à la fois à partir des sons enregistrés lors du tournage par le chef opérateur du son, de sa propre collection de sons, de sons enregistrés spécifiquement pour le projet mais aussi de sonothèques, tout cela forme la palette sonore avec lequel le monteur son va construire l’univers sonore d’un film.

Concrètement, le monteur son passe ensuite plusieurs semaines en salle de montage, à monter à l’image, son par son, les éléments qui vont constituer la bande son du film : sons urbains dans un appartement, rumeur ou clameur de la foule à Roland Garros, ouverture de porte, son de l’intérieur d’une rame de métro. Au-delà de ces éléments très réalistes le monteur son peut aussi être amené à créer des moments ou le son est abstrait, inquiétant, dérangeant… , par exemple le son d’un rêve ou d’un moment d’égarement d’un personnage, une illusion auditive qui dénote avec la réalité sonore du reste du film.

Une fois la bande son « complète » et que toutes les volontés sonores du réalisateur sont préparées et présentes dans la session de travail, le monteur son passe le relai et transmet son travail au mixeur, qui lui va faire en sorte que tous ces éléments que sont les dialogues, les ambiances et effets sonores, la musique, constituent une bande son harmonieuse, cohérente et techniquement valide pour le cinéma.

Parles nous un peu de ton parcours ?

Durant mes études de son à l’IAD, j’ai eu l’opportunité de faire un premier stage auprès d’un monteur son et des lors j’ai su que je voulais m’orienter vers ce domaine. Par la suite j’ai continué les stages et projets dans différents studios et je suis maintenant monteur son au sein de Piste Rouge depuis 2016.

J’ai décidé de me spécialiser dans le montage son car pour moi il y a quelque chose de magique et satisfaisant à façonner l’univers sonore d’un film. Les ambiances et effets peuvent apporter beaucoup à un film et à son histoire voire également nous renseigner sur un personnage et sa psychologie, même si la plupart du temps le public n’a qu’une vague ou aucune idée de ce que nous faisons. Je pense qu’il faut d’une part accepter le fait que nos métiers soient invisibles et savoir prendre cela comme un compliment, et d’un autre coté un article comme celui-ci permet de mettre en lumière nos métiers. 5ème Set est un parfait exemple pour parler du travail sonore.

 

Le travail de montage son a-t-il été particulier sur ce film, par rapport au montage son d’un autre film ? Quelles étaient les volontés artistiques de Quentin par rapport au montage son ? As-tu travaillé d’une manière particulière l’imbrication des musiques dans le montage son ?

Ce film nous plonge dans l’univers du Tennis par 2 prismes, à la fois celui du joueur de haut niveau à travers les matchs, les entrainements, la compétition, etc… mais aussi dans son quotidien parfois moins glamour entre les rendez-vous médicaux, le métro, la vie de famille, la relation avec sa mère, son couple.

Une des volontés de Quentin à été que l’environnement sonore de l’appartement de Thomas soit très urbain, dense, voire bruyant par moment, j’aime cette approche car ça permet d’ancrer les décors et les personnages dans le réel. Le choix et le placement de certains sons de la ville permet de souligner des moments importants, d’attirer le regard, de créer un sentiment de malaise par exemple.

L’autre enjeu de montage son de 5ème Set était de retranscrire l’atmosphère particulière des courts de Tennis, et particulièrement de ceux de Roland Garros. Le challenge pour moi a été trouver l’équilibre entre le réalisme nécessaire pour que les séquences de Tennis fonctionnent et soient crédibles et l’exagération/l’amplification sonore que l’on peut parfois apporter grâce au montage son. Pour ce faire j’ai pu me baser sur la très bonne prise de son de Stéphane (j’en profite pour souligner l’importance de faire des sons seuls sur les tournages, quand c’est possible évidemment, je sais bien que les conditions de tournage ne le permettent pas forcément) et l’excellent montage directs de Philippe. De plus, le planning ayant été chamboulé par le confinement de mars 2020, j’ai eu la chance et le luxe de terminer mon montage son avec des directs (dialogues+VI) prémixés, cela m’a permis de monter avec une matière propre, ce qui m’a aidé à faire des choix de montage son plus avisés et cohérents pour la bande son finale.

Quentin, le réalisateur, étant joueur de Tennis, était très attentif au son des matchs et particulièrement des frappes de balles que nous avons gardé le plus naturelles possibles en utilisant uniquement le son direct, la prise de son en multi-micros de Stéphane fût d’une grande aide pour cela. J’ai donc pu focaliser mon travail sur l’ambiance des matchs, l’effervescence du public, la foule dans les allées de Roland Garros, les matchs en off sur les autres courts, etc… Nous avons essayé de créer une gradation dans la tension tout au long du film, match après match, jusqu’au dernier match du film, sorte de long bouquet final sonore, ou l’interaction entre le public bouillant de Roland Garros et les joueurs joue un rôle important, cette interaction est elle même intensifiée par le montage son, ou chaque moment du match comme un coup raté ou réussi d’un des joueurs, une possibilité de break, un énervement, est traduit en son par une réaction ou anticipation de la part du public.Cette scène finale fût vraiment le point d’orgue de mon travail sur le montage son de ce film car il s’agit de donner l’illusion du naturel au spectateur du film alors que chaque élément, chaque cri, chaque vague d’applaudissements ou de huées de la foule est travaillé et placé de manière bien précise.

Je tiens également à parler de la relation entre montage son et musique, j’ai particulièrement apprécié travailler avec les compositions de Delphine, je trouve que le choix de restreindre le type d’instruments utilisés a permis à la musique de garder une certaine sobriété tout en remplissant parfaitement son rôle. Le montage son et la musique s’imbriquent à merveille sur ce projet, voire se confondent par moment dans de subtils arrangements, comme une sirène de pompiers qui se mêle à une mélodie de violon par exemple, un heureux hasard au départ que j’ai peaufiné en travaillant le placement et le timing de la sirène pour l’imbriquer au mieux dans la musique, tout en gardant une légère dissonance qui fonctionne très bien dans la scène.

 

 

4 – Mixage – Mixeur Fabien Devillers

 

Qui es-tu et quel est ton parcours ?

Je suis Fabien Devillers, mixeur depuis 21 ans chez Piste Rouge après avoir obtenu un BTS audiovisuel option Son à Saint- Quentin en 2000.

En quoi consiste le mixage, cette dernière étape essentielle d’un film ?

Toutes les étapes sont essentielles. Chacun amène son savoir-faire de manière chronologique. Je récupère ensuite le travail de tout le monde pour constituer la bande son finale du film. Il s’agit de mélanger harmonieusement par rapport à la mise en scène et au montage image les sons directs, les post-synchros, le montage son (ambiances – fx -bruitages) et les musiques. Mais aussi et surtout de donner un ordre d’importance à tous ces éléments en fonction du résultat souhaité.

Le rapport du son à l’image est primordial et doit être adapté au format sonore de diffusion (stéréo / 5.1 / 7.1 / dolby Atmos) et au type de diffusion (cinéma, tv, web, plateformes).

Comment abordes-tu le mixage et quel est ton outil de travail principal ?

Concernant l’outil, les oreilles !!!

Doublement même : évidemment pour le travail sur le son mais surtout savoir être à l’écoute du réalisateur. Le mixeur étant celui qui termine le film, je me place toujours comme le 1er spectateur et j’essaie donc de fabriquer ce que j’aimerais entendre en tant que spectateur en y apportant ma sensibilité. Il peut arriver qu’il y ait des divergences de sensibilité avec le réalisateur mais cela permet de débattre et c’est ce qui fait la richesse et les belles rencontres de ce métier.

As-tu abordé le mixage de 5ème set comme n’importe quel autre film ?

Dès ma 1ère rencontre avec Quentin, j’ai tout de suite compris et approuvé son envie et son besoin de réalisme sur les parties tennis.

Le 1er confinement a bouleversé les plannings et la méthodologie classique de post-production son d’un film. Ceci s’est avéré très intéressant car la moitié du mixage du film a été réalisée avant le montage son !! J’ai en effet d’abord mixé les dialogues, les post-synchros, les bruitages et tous les sons directs VI. La richesse de la prise de son direct nous a permis sans renfort de montage son d’avoir un rendu très naturel sur les frappes de balles par exemple. Le piège sur ce genre de film aurait été de tout amplifier pour rendre les choses plus spectaculaires et démonstratives mais moins « brutes » et authentiques.

Le montage son a donc été effectué sur des éléments déjà mixés ce qui était plus efficace puisqu’il suffisait de compléter ce qui manquait ou de créer ce qui n’existait pas. Sur ce dernier point, nous avions des gros enjeux comme la volonté de Quentin d’avoir une ambiance extérieure très riche et très urbaine quand on est dans l’appartement, la création de tout le off autour des courts annexes pendant les qualifications et toute la création du public pour pouvoir avoir une spatialisation très large en 5.1 sur le match du 1er tour et plonger ainsi le spectateur au centre du court . Sur ce dernier match qui est mis en scène de 2 manières différentes (sur le court ou en longue focale à travers la TV), nous avons très vite décidé pour la partie TV de ne pas trop filtrer le son afin de ne pas le rendre trop désagréable. Le point de vue sonore a donc été choisi et traité comme si le spectateur était dans la cabine avec les commentateurs.

 

Et comment s’est passée la finalisation du mixage ?

Une fois le montage son effectué et réintégré dans la 1ere partie du mixage, je me suis occupé d’y ajouter la musique . De part sa composition sobre et accompagnant parfaitement la psychologie du personnage, il s’agissait de l’intégrer de manière subtile et non démonstrative pour qu’elle soit perçue comme un élément appartenant à la bande son générale et pas comme une pièce rapportée extra-diégétique.

Cette étape finale est-elle source de conflit ?

C’est un moment capital pour le réalisateur puisque c’est le fruit de plusieurs mois/années de travail. Il arrive que psychologiquement, il faille gérer les conflits qui peuvent naître entre ce qu’a maquetté le monteur image, des propositions différentes du monteur son, des niveaux de musique, ses propres attentes et in fine celles du réalisateur.

Le mixeur doit arbitrer les différents choix en faisant abstraction des egos de chacun et en gardant en tête qu’il n’y a qu’un seul décisionnaire : le réalisateur !

Sur ce film , y a t’il eu conflit ?

Pas du tout, bien au contraire !

Tout le monde a collaboré et échangé régulièrement tout au long du process au lieu de travailler individuellement dans son coin. Il en est ressorti une sensibilité commune en post-production entre le monteur image, le monteur son, la compositrice et le réalisateur donc ce n’était que du plaisir !

 

5 – La musique – Compositrice Delphine Malaussena

 

Comment devient-on compositrice, qu’est-ce qui t’as motivée à choisir ce métier ?

Je suis compositrice de musique de film et ingénieure du son. J’ai une double formation: j’ai été formée au conservatoire de La Rochelle (en violon, percussions, musique de chambre, formation musicale et orchestre), puis aux conservatoires de Bordeaux, Toulouse et Paris (en écriture musicale, électroacoustique et direction d’orchestre), parallèlement à mes études scientifiques et de son.

Passionnée de sciences, j’ai étudié en classe préparatoire mathématique physique sciences de l’ingénieur, continué par une licence de physique sur les phénomènes ondulatoires à L’université de Bordeaux, et enfin par un Master 2 de mécanique quantique à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. J’ai ensuite eu envie de découvrir l’univers autour du son, de passer de la théorie à la pratique, et ai intégré l’ENS Louis Lumière en section son en 2006.

Après trois années d’études très enrichissantes sur tous les aspects du son (enregistrement, montage, mixage…) et l’écriture d’un mémoire sur la spatialisation du son autour du quatuor à cordes La jeune fille et la mort de Schubert, j’ai eu le grand privilège de rencontrer notamment Pierre Gamet, ingénieur du son de cinéma, qui fut un grand nom dans le métier. Je l’ai accompagné sur plusieurs tournages en tant que seconde assistante son, il a ainsi largement contribué à ma formation dans la prise de son directe. Il m’a confié à plusieurs reprises son matériel afin que je me fasse la main et que je m’exerce. Quelques années plus tard, je suis devenue moi-même cheffe opératrice son sur mon premier long-métrage en 2011. J’ai été ingénieur du son sur une quarantaine de tournages pendant dix ans, long-métrages, court-métrages, publicités, séries françaises et américaines.

Grâce à cette double formation, et en connaissant de l’intérieur la fabrication d’un film, l’envie de réunir la musique qui a été omniprésente durant mes trente premières années de vie, et le son au cinéma qui a été mon premier métier, se faisait de plus en plus présente. Je me suis alors formée à des techniques spécifiques liant le son et la composition, notamment aux techniques de traitement du son développées au GRM, avec Diego Losa.

J’ai commencé à composer la musique de court-métrages, entre deux tournages à la prise de son. Puis j’ai été sélectionnée dans plusieurs résidences comme « Le 3e personnage » à Aubagne et à Namur, « Next Step » à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, Canneseries, Trio et Crescendo organisé par la maison du film. J’ai été lauréate en 2021 de l’OST Challenge, qui est un concours européen de composition de musique de film. Dans la catégorie scénario, l’exercice consistait à composer pour orchestre à corde une musique pour le film d’animation « Un tout petit numéro » de Luc Lavault, qui est en cours de réalisation.

À la suite de toutes ces expériences passionnantes et encourageantes, j’ai décidé de mettre en pause le métier d’ingénieure du son pour me consacrer pleinement à la composition de musique de film, ce qui m’a permis d’élargir et d’intensifier ma pratique de composition de musique à l‘image.

Quels étaient les enjeux de la composition de la musique du film 5e Set ?

Le scénario du film 5e Set dépeint un héros écorché, solitaire, qui essaie une dernière fois de se qualifier à Roland Garros, dans un climat familial assez tendu. C’est un univers que l’on voit peu au cinéma. Quand Thomas Edison, interprété par Alex Lutz, est sur le court, il fait face bien sûr à un adversaire, mais surtout il fait face à lui-même, à son passé.
Et concernant la direction artistique de la musique, Quentin Reynaud voulait quelque chose de radical, d’épuré, de sombre, qui place le spectateur au cœur de la psychologie si particulière du tennisman.

J’ai tout de suite pensé à un instrument seul, en particulier au violoncelle parce que c’est un instrument très proche de la voix humaine et qui peut exprimer beaucoup de choses: une forme de tragédie, de la douceur, de la profondeur, de la mélancolie, du désespoir… Avec Quentin, nous voulions exprimer la psychologie de Thomas Edison, sombre, tortueuse, obsessionnelle, et mettre la solitude du protagoniste en exergue. Comme une focale très courte, nous souhaitions entendre en surimpression du film l’intériorité du personnage. Nous voulions garder cette crête, ce fil, ce parti pris de la radicalité du violoncelle solo, tout au long du film. J’ai trouvé le thème principal assez tôt, et je l’ai « sculpté » ensuite en fonction des retours du réalisateur.
J’ai également utilisé des percussions pour faire ressentir les moments où Thomas perd pied, s’embrouille, se noie lui-même. J’ai de même joué sur des notes plus électroniques pour amener de la tension, des sensations d’enveloppement, du rythme, durant les trois matchs de qualification.

Un thème spécifique a été composé pour chaque personnage du film : le thème de Thomas, décliné en différentes versions en fonction de son état psychologique, de la temporalité. Le thème de Judith, la mère de Thomas, jouée par Kristin Scott Thomas, thème sinueux, âpre, qui tourne en boucle, comme dans un piège dont on ne voit pas la sortie. Enfin le thème de Eve, la compagne de Thomas, interprétée par Ana Girardot, thème plus rond, doux, évanescent, plus solaire, mais empreint de doutes.

La musique composée pour les différents matchs, était un véritable défi, notamment pour le premier tour de Roland Garros, qui dure environ 30 minutes. Elle est cousue autour de chaque balle, chaque point, chaque changement de temps et s’adapte à l’évolution de l’énergie des deux joueurs. Le tennis étant un sport très sonore, avec un son particulier, Quentin et moi avons voulu laisser un long moment sans musique durant le dernier match. Ce parti pris a été possible grâce à la bande sonore qui nous permettait de retrouver le son du tennis. Et, enfin, une note lancinante de violoncelle reprend, quand la caméra retourne sur le court, pour la dernière fois, avant l’épilogue. Cette note signifie que l’on retourne dans la fiction, dans la subjectivité, dans la tête de Thomas Edison.

Comment travailles-tu, quelle est ta manière de composer ?

J’aime composer de la musique thématique, harmonique, rythmique, et aussi texturée : je travaille sur le timbre des sons, leur décomposition harmonique, je les fabrique moi-même parfois à partir d’une simple sinusoïde, je compose en pensant la spatialisation tout comme le rythme ou l’harmonie.

Composer la musique d’un film, c’est d’abord un travail tout fait d’intuition et de ressenti. J’essaie de comprendre le film, ce dont il a besoin, et je me demande ce que la musique pourrait apporter, pourquoi, comment, et à quel moment du film.

Ensuite, je développe cette première idée, je cherche un fil conducteur, je déroule l’idée, je la complexifie. J’ai une manière de travailler très artisanale, directement dans la matière sonore et pas forcément à la partition tout de suite, malgré mes années d’étude de musique classique souvent basées autour de l’objet partition. Par exemple, pour la composition de la musique du film 5e set, j’ai d’abord commencé par composer une « maquette » à partir du scénario, j’ai trouvé ainsi le thème de Thomas. J’ai très vite enregistré avec ma violoncelliste Juliana Laska ce thème qui nous a servi de base de travail, pour le développer par suite avec les images.

Que t’apportent ces compétences d’ingénierie du son dans ton travail de compositrice ? Diriges-tu souvent toi-même les enregistrements ?

Oui, j’aime beaucoup diriger moi-même les séances d’enregistrement, dans la mesure du possible. Ça permet de créer sur le moment, de se laisser porter par les timbres pour choisir quels microphones utiliser, et où les placer. J’aime bien ne pas tout écrire en amont, chercher, se laisser surprendre, dérouler un fil à partir de ce qui surgit.

Ces années de pratique en tant qu’ingénieure du son me permettent d‘intervenir aussi à cet endroit-là lors de l’enregistrement des musiques composées. Juliana nous a offert une très large palette, pleine de couleurs, de dégradés, de nuances, et ces qualités ont permis de peindre toutes les nuances que je souhaitais donner aux différents thèmes.

Ayant tout le matériel d’enregistrement sonore et pouvant moi-même faire la prise de son, nous avons travaillé toutes les deux, en ayant un moment très intense et intime. C’était essentiel pour moi d’avoir un son réel, avec une âme, joué par une instrumentiste. Juliana a apporté sa sensibilité, elle fait corps ainsi avec son instrument, et a une grande conscience du son, au-delà des notes. J’ai enregistré le violoncelle ainsi que les percussions d’Inor Sotolongo. Je pense que le dispositif microphonique, la réflexion sur les microphones et les capsules, le placement des micros, et le lieu de la prise de son, font partie de la composition, dans la mesure où cela va jouer sur le timbre et l’énergie de ce que nous captons.

Par ailleurs, il m’est arrivé d’utiliser des sons directement sur le tournage et de composer à partir de cette matière capturée. Ce fut le cas pour quelques morceaux dans la construction de la BO de 5e Set. Dans cette optique, nous avons travaillé avec Stéphane Gessat, ingénieur du son sur ce film, d’une manière privilégiée. Par exemple, pour la séquence du cauchemar de Thomas Edison, la musique se base sur le son et le rythme de l’IRM qu’a enregistré Stéphane lors du tournage.

Nous avons travaillé la bande sonore de sorte que tous les éléments s’imbriquent les uns avec les autres, que le son se fonde dans la musique et vice-versa, que les frontières soient poreuses entre la matière purement sonore et la musique. Ayant un amour tout à fait particulier de la texture sonore, j’ai plus que jamais conscience de l’importance du travail sur la bande sonore d’un film, qui pour moi est la base sur laquelle la musique vient se mêler. Je compose en me projetant par rapport aux sons captés durant le tournage, et aux étapes cruciales du montage son et du mixage. Nous avons aussi échangé à de nombreuses reprises avec le mixeur du film Fabien Devillers pour trouver le bon rapport entre de la musique et la bande sonore, pour trouver le juste équilibre, la juste place de la musique. J’ai également travaillé en concertation et de manière très constructive avec le monteur du film Jean-Baptiste Beaudoin. Ainsi nous avons fait de nombreux allers-retours et essais, lors du montage du film.

Je suis ravie de la manière dont nous avons collaboré avec les différents membres de l’équipe, et je pense qu’il sera possible de pousser le curseur encore plus loin lors de prochaines collaborations.

Comment décrirais-tu ta « patte » ? Quels compositeurs de musique de film t’inspirent ? As-tu composé d’autres musiques de film ?

Étant violoniste, et habitée par la musique classique, j’aime composer et développer des thèmes, j’ai aussi une passion pour le rythme, la polyrythmie. Je compose aussi des textures, des matières. J’aime faire intervenir des touches de lumière, de la brillance, mais mon socle est assez sombre. C’est un mélange de musique électronique et de classique, d’éléments organiques qui se rencontrent, se heurtent. J’aime ce qui est atmosphérique, assez lancinant aussi. Mes sources d’inspiration sont Jean Sébastien Bach, Chopin, Mendelssohn, Debussy, Chostakovitch, Bartok. Mais également les compositeurs de musique plus actuelle ou musique de film, Steve Reich, Johan Johansson, Hildur Guðnadóttir. Il y a beaucoup d’artistes dont la musique m’enchante. Je découvre tous les jours des musiques incroyables, ainsi je viens de découvrir Mica Levi que j’écoute en boucle en ce moment.

Enfin concernant mes dernières activités, j’ai composé cette année la musique de deux autres long-métrages. Le premier est un premier long-métrage de fiction, « Moon, 66 questions » de Jacqueline Lentzou, sélectionné à la Berlinale en 2021. Le second est un long-métrage documentaire « When a farm goes aflame » de Jide Tom Akinleminu, également sélectionné à la Berlinale 2021. Et je suis actuellement en train de composer la musique du prochain film de Quentin Reynaud, « Jour 37 », pour lequel l’écriture sonore et musicale est un nouveau défi collectif à relever.

 

 

REMERCIEMENTS

Un immense merci à toute l’équipe, Delphine Malausséna, Stéphane Gessat, Philippe Fontaine, Axel Steichen, Fabien Devillers pour leur adhésion et investissement dans ce projet d’article. Nous sommes tellement fiers de pouvoir inaugurer ce blog dont nous rêvions depuis si longtemps avec ce magnifique récit. Merci pour leur patience et confiance.

 

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